L’échéance se rapproche
Nous sommes à
moins d’un mois maintenant de l’ouverture et je ne sais par quelle face
attaquer la montagne de choses qu’il me reste à faire … la mise en place de
toute l’organisation administrative me préoccupe davantage que les aménagements
du campement qui sont pourtant loin d’être achevés.
J’ai recruté
Chantal, une connaissance perdue de vue pendant de longues années. Elle
s’occupait alors des tâches administratives, du secrétariat et de bien d’autres
choses au ranch de Gaoundaba, près de Ngaoundéré, et j’avais gardé d’elle un très
bon souvenir. Retrouvée par hasard, elle s’est montrée très enthousiaste à
l’idée de participer à l’aventure et j’en suis ravi. Elle possède une réelle
expérience du monde du tourisme au nord Cameroun et ses expériences me seront
sûrement utiles. Elle s’attaque à la tâche avec zèle.
Je perds un temps
fou à Garoua où d’année en année les difficultés s’accroissent ; il est par
exemple souvent impossible de trouver du matériel digne de ce nom pour
satisfaire mes projets d’aménagement et de décoration et il faut me faut
adapter mes ambitions aux modestes réalités de la place.
Mon nouveau
départ prévu pour ce jeudi 23 novembre se verra reporté de deux jours, le
« nouveau » camion que j’ai affecté au campement et qui est sensé être
fin prêt au départ depuis des mois, révèle panne sur panne ! Rien de grave,
mais je passe deux jours à gérer des problèmes mécaniques dont on m’assure
depuis des mois qu’ils sont résolus !
C’est cela qui
mine le quotidien !
Ce camion est un
vieux SM8 Saviem réformé des pompiers de la marne que j’ai importé
il y a peu. Il affiche la moitié de l’äge du Berliet et n’avait qu’une
quinzaine de milliers de Km au compteur. Nous l’avons remis à neuf, coupé sa
cabine double en une cabine ordinaire et sommes à présent en possession d’un camion
presque flambant neuf, que j’affecte à bien, avec une fierté que ne dément pas
l’enthousiasme du personnel.
LE 27
La multitude des
taches qui m’incombent et l’urgence sont telle que je ne sais vraiment plus ou
donner de la tête… il ne suffit pas d’avoir à gérer l’ouverture du campement
qui représente une montagne de boulot, encore faudrait-il que j’assure l’ouverture
des pistes et l’anti-braconnage… Aujourd’hui je m’accorde donc une journée
brousse pour ouvrir une piste.
En fait il s’agit
plus pour moi de marquer le territoire vis-à-vis des braconniers tout en
m’assurant de la praticabilité d’une piste de vision. Cette dernière, la boucle
de Nangari, n’est plus pratiquée depuis longtemps. Pourtant lorsqu’en 94
j’oeuvrais ici elle était très appréciée, courte, en bon état et giboyeuse elle
avait tout pour plaire. Au cours de la saison dernière j’ai appris
qu’elle était abandonnée depuis plusieurs années comme toutes les pistes au
nord du campement, et les survols que j’ai pu en faire confirment que les
animaux y sont vraiment rares !
Elle constitue
pourtant à mes yeux la dernière rocade du cœur du parc qu’il faut préserver ce
qui devrait être assez aisé car proche du campement et devrait bénéficier d’un
retour de la faune assez rapide car assez proche du noyau de résistance. A la
fin de la saison des pluies en juin j’ai pris à cœur de racler sommairement à
la niveleuse les pistes dont je veux faire mon dernier rempart. En élargissant
les passages de mayos et en créant des exutoires aux pires endroits j’espérais
que le travail serait limité en début de saison. Le moment est venu de
m’assurer de l’efficacité de la méthode. Avec mon beau camion et quelques volontaires
difficiles à convaincre, je me lance dans les pailles après un franchissement
laborieux de mayo Lidi, qui coule encore devant le campement. Le treuil et ses
50 m de câble fait merveille et le dispositif que j’ai installé à l’avant pour
coucher les pailles nous évite d’encrasser le radiateur.
En partant à 9
heure du matin nous réussissons à nous rendre jusqu’à mayo Guelmoussa, au nord
du carrefour de Petohï, où nous sommes calés par une coupure trop importante,
puis à faire la boucle de Nangari, sans peine ; tout au plus nous aura il fallu
rapidement aménager quelques franchissement, mais une fois les pailles brûlées,
ce dont les braconniers s’en sont déjà grandement chargé, la piste sera
praticable par les touristes. Pour moi une piste praticable et pratiquée
signifie une victoire sur le braconnage : le passage des clients dissuadera les
braconniers et engendrera un regain de faune qui incitera au passage, plus de
clients… Cercle vertueux à initier de toute urgence !
La piste
facilitera aussi les sorties de surveillances qui non content d’être rares, ne
vont jamais bien loin faute d’accessibilité et de moyens. Il sera facile de
demander à quelques pisteurs de monter avec un client qui les déposera ici où
là, avec pour mission d’inspecter le secteur et de rentrer au camp…. La moitié
du trajet est gagnée!
Nous avons
péniblement fait une trentaine de kilomètre, mais je m’estime très content du
résultat ; mon travail de juin s’est avéré utile et efficace, le camion est un
super outil, et nous disposons d’une première piste accessible aux clients. De
plus, dans le landernau des bracos, on saura dès demain que le blanc a rouvert
l’ancienne piste de Nangari et que l’endroit risque de devenir malsain !
Le 29, un
vrombissement m’annonce l’arrivée de mes amis de la base aérienne de Garoua.
Arrivée en force puisque ce sont trois ULM qui se posent dans l’herbe
encore haute de la piste. Heureuse idée que j’ai eu de remettre en état un
tronçon de cette piste qui autrefois parait-il, accueillait même des DC3 !
Outre le fait qu’elle serve à mon usage personnel, elle génère un peu de trafic
aérien qui ne peut que servir ma cause et dissuader quelques peu le
braconnage….
Dans un campement
en plein chantier mes amis pilotes n’en sont pas moins mes premiers hôtes de la
saison.
Un peu plus tard,
un appel satellite de Chantal m’annonce l’arrivée de 3 personnes pour…. ce soir.
Je tente de décommander, car bien que nous soyons en mesure de servir à boire
et d’héberger tant bien que mal quelques personnes, ils est encore un peu tôt
pour la restauration ! Je ne voudrais pas décevoir et de surcroît il est
impossible de circuler dans le parc et plus encore d’y voir quoi que ce soit
dans l’océan de hautes herbes qui ne sont pas encore prêtes pour les feux..
Depuis le début
d’après midi le ciel est pourtant obscurci à l’est par les feux de brousse
allumés par les braconniers. Ca me chagrine sérieusement, mais je n’ai pas
vraiment la possibilité de réagir : aucune piste ne peut nous mener
rapidement dans le secteur et les gardes et pisteurs ne montrent aucun
enthousiasme à tenter d’entraver l’activité de leurs cousins ! J’espère que
j’arriverai à faire évoluer cette mentalité, mais je doute fort parvenir un
jour à obtenir que ce type de réaction de manière spontanée !
J’ignore si mes
consignes d’annulation ont été entendues et je me prépare donc à recevoir
quelques personnes, ce qui a pour effet de précipiter un peu les préparatifs ;
ce soir le restaurant et deux chambres sont prêts, la cuisine également. Il y a
bien quelques retouches à faire, mais elles supporteront d’attendre quelques
jours….
Au final mes «
clients » ne viendront pas, et j’y ai gagné un peu d’avancement dans les
travaux !
J’ai toujours
pris un plaisir extrême à ces soirées de début où de fin de saison, où tout
seul, je profite égoïstement des nuits de brousse. Après une journée bien
remplie, une saine fatigue où le stress de la ville n’a pas cours, je dîne très
tôt et me retrouve seul face à l’immensité de la brousse. Une lampe à pétrole,
un peu de musique ou un livre quelquefois, mais toujours quelques minutes
d’introspection, de méditation, instants privilégiés dont je m’efforce de
conserver la conscience. Ces instants là expliquent, excusent, justifient
et lavent toutes les peines de la journée.
Au retour je
croise mes clients, que j'avise de la situation réelle. Bien qu'ils soient un
peu irrités de la situation ils décident de se rendre sur place, quitte à n'y
passer qu'une nuit.
Si je me presse
de rentrer à Garoua, c'est que j'ai rendez vous avec les représentants de
l'association "Planète Urgence" qui sont de fait de charmantes représentantes
! Cette association diligente des volontaires pour des actions de soutien dans
le domaine de l'écotourisme. En fait je ne fais que finaliser des contacts pris
l'année passée par Jean-Paul Arabeyre.
J'espère que le
soutien de cette association qui œuvre déjà dans d'autres parcs au Cameroun
participera à la dynamisation de Boubandjida. Nous brossons rapidement les
grandes lignes de nos attentes réciproques et nous nous quittons ces dames
reprenant l'avion le même jour.
Je fonde beaucoup
d'espoir dans ce type de collaboration, car je sais qu'il faudra une synergie
de volontés et de moyens pour parvenir à quelque chose, et ces volontaires,
même s'ils risquent d'être une grosse charge pour nous, devraient initier une
dynamique nouvelle pour le parc.
A Garoua, je
croule sous les occupations et fais feu de tous bois…